Des experts accusent l’Afsset d’avoir « trompé le public » sur les lignes à haute tension

PARIS (AFP) – 20.05.2010 15:53
AFP/Archives – Jacques Demarthon
Des experts ayant travaillé récemment sur des rapports pilotés par l’Afsset (agence sanitaire environnement et travail) sur les effets des lignes à haute tension ou sur les antennes-relais l’ont accusée d’avoir dans ses avis « trompé le public » et « bafoué l’expertise ».

Sept membres (sur 19) des groupes de travail mis en place par l’Afsset pour rédiger les rapports sur ces deux sujets s’en prennent à l’Afsset dans une lettre aux ministres Roselyne Bachelot (Santé) et Jean-Louis Borloo (Ecologie).

Ils y estiment que l’agence, dans ces deux cas, a « trompé délibérément le public et bafoué l’expertise scientifique ».

Martin Guespereau, directeur général de l’Afsset, a rétorqué que son rôle était de faire le lien entre évaluation du risque et décideurs, et donc de « faire des recommandations de gestion du risque ».

S’appuyant sur le rapport sur les antennes-relais, l’Afsset, estimant qu’il n’était « plus temps de ne rien faire », s’était prononcée en octobre pour une réduction des expositions aux ondes.

Sur les lignes à très haute tension, l’Afsset avait estimé nécessaire en avril de clarifier leur effet sanitaire, suite à des « associations statistiques claires » entre l’exposition aux champs électromagnétiques extrêmement basses fréquences et les leucémies infantiles, même si aucun lien de cause à effet n’avait été « clairement identifié ».

Les signataires de la lettre reprochent notamment à l’Afsset d’avoir recommandé la création d’une zone d’exclusion de 100 mètres autour des lignes à très haute tension pour les nouvelles constructions recevant du public. Pour eux, cela contribue à « inquiéter inutilement les 300.000 riverains des lignes de transport de l’électricité ».

« Les riverains ont besoin de toute l’information et de toute la lumière sur les éléments scientifiques », a réagi Martin Guespereau.

Il s’est inscrit en faux contre les critiques sur les méthodes de l’agence et a noté que son rôle était de faire le lien entre évaluation du risque et décideurs, et donc de « faire des recommandations de gestion du risque ».

Des membres du conseil d’administration de l’Afsset ont réagi à ces attaques.

Pour François Desriau, porte-parole de l’Andeva (association de défense des victimes de l’amiante), l’Afsset « a suivi scrupuleusement la méthodologie scientifique » et est « parfaitement dans son rôle ». Cette lettre est selon lui « une attaque en règle parfaitement orchestrée par les lobbies contre le principe de précaution ».

José Cambou (France Nature Environnement) a estimé que « le domaine des risques émergents est un domaine d’incertitude », et que « mettre en cause le principe de précaution est une bataille historique dépassée », basée sur le « principe d’immobilisme ».

© 2010 AFP

Et voici la lettre:

Le 19 mai 2010
Madame Roselyne BACHELOT
Ministre de la Santé et des Sports
Monsieur Jean-Louis BORLOO
Ministre de l’Ecologie, de l’Energie,
du Développement durable et de la Mer
Madame la Ministre, Monsieur le Ministre,

Pour la seconde fois en quelques mois, l’Agence Française de Sécurité Sanitaire et au Travail (Afsset), a trompé délibérément le public et bafoué l’expertise scientifique. Après le rapport sur les radiofréquences pour lequel son attitude a été dénoncée en particulier par les Académies des Sciences, de Médecine et des Technologies, la direction de l’Afsset ne semble s’intéresser cette fois-ci aux effets sanitaires des champs électromagnétiques extrêmement basses fréquences (CEM-EBF) que pour mettre en cause les lignes à haute tension. Les méthodes employées par l’Afsset, tant sur le fond que sur la forme, nous obligent à réagir dans l’intérêt de nos concitoyens et pour défendre la qualité et le respect de l’expertise scientifique.

Le rapport introuvable…
est une première dans l’histoire de la communication scientifique : un avis rédigé par la direction de l’Afs set, sans concertation avec les auteurs du rapport et un communiqué de presse annoncent à grand bruit médiatique la sortie d’un rapport scientifique… qui n’était disponible nulle part, pas même sur le site de l’Afsset ! Elaboré par des experts, il était censé fonder l’avis et aurait donc dû être mis en ligne en même temps ; il n’a été rendu public que 15 jours plus tard. Comment juger de la pertinence de l’avis sans se référer au rapport des experts ? S’agit-il d’une démarche délibérée, d’une négligence ou bien l’accord des experts n’avait-t-il pas été obtenu ?

Excès de pouvoir
Il s’agissait pour l’Afsset d’évaluer, selon les termes de votre demande, les effets sanitaires des champs électromagnétiques extrêmement basses fréquences, en vous donnant les éléments scientifiques issus de l’expertise nationale et internationale pour une évaluation rigoureuse coût-bénéfice susceptible de vous permettre la gestion du risque éventuel. Or, la direction de l’Afsset non seulement n’a pas respecté son contrat en se focalisant sur les seules lignes à haute tension, mais elle est sortie de ses prérogatives en formulant des recommandations de gestion du risque, sans hésiter pour ce faire à contredire l’avis des experts rédacteurs du rapport. Ainsi, quand l’Afsset recommande « la création d’une zone d’exclusion de nouvelles constructions d’établissements recevant du public qui accueille des personnes sensibles de minimum 100 m de part et d’autre des lignes de transport d’électricité à très haute tension », les rapporteurs déclarent que « les preuves scientifiques d’un possible effet sanitaire à long terme sont insuffisantes pour justifier une modification des valeurs limites d’exposition actuelles ». Que faut-il en penser ? Une option similaire avait été envisagée par le gouvernement britannique et rejetée après une analyse scientifique et une réelle évaluation du rapport coûts-bénéfices. De même, les plus récentes expertises collectives internationales excluent unanimement la création de corridors autour des lignes : OMS juin 2007, SCENHIR janvier 2009 et Health Protection Agency octobre 2009, mais l’Afsset n’en dit mot.

Où est passée la science ?
Faisant fi des experts, auxquels l’Afsset demande compétence et transparence, c’est manifestement un amateur qui a rédigé l’avis et préconisé sans concertation aucune et contre toute justification scientifique, la création « d’une zone d’exclusion » de 100 m. Mais la science n’est pas un costume sur mesure qu’on peut retoucher à sa guise et les faits sont têtus. Rappelons que pour le Centre International de Recherche contre le Cancer de l’OMS (CIRC), ce n’est pas l’exposition aux lignes à haute tension qui, comme le café ou les cornichons, serait « possiblement cancérogène », mais le champ magnétique, quelle qu’en soit l’origine, et dans des circonstances aussi précises que rarement rencontrées. Comment l’Afsset peut-elle ne retenir que la contribution des lignes de transport de l’électricité lesquelles ne représentent que 20 % des expositions les plus élevées aux champs magnétiques d’extrêmement basse fréquence ? Les expositions de la vie quotidienne qui concernent notamment les transports et les applications domestiques de l’électricité ne sont même pas mentionnées alors que la saisine portait sur « la contribution des diférents équipements et situations à l’exposition ». Comment peut-on justifier, sinon par excès de précaution, des recommandations aussi lourdes de conséquences en se fondant sur des études épidémiologiques dont la qualité et les conclusions sont controversées ?

A quoi bon réunir des experts pour s’affranchir de leur avis ?
Si la mise sous le boisseau de l’expertise scientifique au profit de l’impact médiatique à court terme n’est pas nouvelle, elle est ici systématique et d’autant plus grave qu’elle émane d’un organisme de référence.

A voir la façon dont l’Afsset traite les experts qu’elle a mandatés, on peut se demander s’ils ne sont pas instrumentalisés comme de simple « cautions scientifiques ». Pas de validation de l’avis par les rapporteurs ou le CES, pas de corrections par les experts… Est-il normal que l’Afs set ne précise pas clairement si ses recommandations viennent des experts chargés du rapport scientifique ou de sa propre initiative, illégitime dans le cadre de cette saisine ? Où est la transparence ? Le gouvernement demandait à être éclairé mais pas qu’on lui force la main sur un sujet sensible en en appelant à l’opinion publique…

Nous, scientifiques, dénonçons solennellement ce déni de la science qui aboutit à une interprétation irrationnelle du principe de précaution. Préconiser abusivement de telles mesures, c’est contribuer à inquiéter inutilement les 300000 riverains des lignes de transport de l’électricité. C’est inacceptable dans un pays de droit, respectueux de ses citoyens. C’est dangereux à terme, si l’on prend subrepticement l’habitude de déformer, de contredire, d’asservir la science et de déjuger impunément les scientifiques. Cette mascarade est indigne de notre pays et nous nous engageons à être vigilants à la moindre alerte. Nous demandons qu’à partir des évaluations des experts chargés de rapports scientifiques, des recommandations prenant en compte de manière rigoureuse toutes les données de cette question, soient élaborées par les services de l’état qui ont la légitimité pour le faire.

Veuillez agréer, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, l’expression de notre haute considération

  • Henri BRUGERE             
    Corédacteur du rapport Afsset 2010 sur les CM-EBF
  • Jean-Claude DEBOUZY   
    Corédacteur du rapport Afsset 2009 sur les radiofréquences
    Corédacteur du rapport Afsset 2010 sur les CM-EBF
  • François GAUDAIRE       
    Corédacteur du rapport Afsset 2009 sur les radiofréquences
  • Isabelle LAGROYE          
    Corédactrice du rapport Afsset 2010
  • Anne PERRIN                
    Corédactrice du rapport Afsset 2009
  • Marc POUMADERE          
    Corédacteur du rapport Afsset 2009
  • Paolo VECCHIA             
    Corédacteur du rapport Afsset 2009
    Corédacteur du rapport Afsset 2010
  • Catherine YARDIN          
    Corédactrice du rapport Afsset 2009

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4 Responses to Des experts accusent l’Afsset d’avoir « trompé le public » sur les lignes à haute tension

  1. Ping: Des experts accusent l’Afsset d’avoir “trompé le public” sur les lignes à haute tension | Vos Blogs en 91 Secondes

  2. ces scientifiques s’expriment depuis des années sur le radiofréquences en dissimulant les risques de dysfonctionnement des appareils électroniques et la limite de 3V/m permettant de prévenir ce risque exemple les lecteurs de glycémie ou le détecteur de chute dans les piscines.

    La dissimulation de risques s’appelle tromperie aggravée! leur démarche est grotesque i.

  3. Avatar de Jean Féret jeanferet dit :

    Non, je pense que dire qu’ils dissimulent un risque est un mensonge. La limite de 3 V/m a été instituée en Europe pour que tous les fabriquants d’appareils électriques aient à satisfaire les mêmes prescriptions de compatibilité electromagnétique, et donc empécher toute barrière nationale dans un marché unique.

    La vocation du « 3 V/m » pour les appareils électriques n’a jamais été sanitaire, et tout le monde le sait, puisque c’est écrit dans la directive européenne que chaque Etat doit transcrire dans son droit national.

  4. Avatar de Jean Féret jeanferet dit :

    Pour éviter la désinformation systématique des acharnés contre les champs, j’ai fermé les commentaires.
    Et pour éviter que les balivernes sur le 3 V/m soient encore propagées, voici ce qu’il faut savoir sur ce 3 V/m », et cela vient des FAQ de l’ANFR:

    J’ai lu dans un forum que les valeurs limites de champ électromagnétique étaient de 3 V/m et qu’elles avaient été fixées par une directive européenne. Or je vois que vous mentionnez des valeurs de champs électromagnétiques bien plus importantes (28 V/m, 41 V/m…) en vous référant également à un texte européen. N’est-ce pas contradictoire ?
    Ce sont là deux textes qui n’ont absolument pas le même objet. Dans le premier cas, il est fait allusion à la directive 2004/108/CE (qui remplace la directive 89/336/CEE) ; dans le second, la référence est la recommandation 1999/519/CE.

    La directive pose deux principes de compatibilité électromagnétique :

    Un équipement électrique et électronique quelconque ne doit pas produire des perturbations électromagnétiques à un niveau tel que cela empêcherait le fonctionnement normal des équipements situés à proximité, y compris les équipements radioélectriques (par exemple équipements terminaux de télécommunication).
    Réciproquement, un équipement doit pouvoir fonctionner normalement (« sans dégradation inacceptable ») en présence du niveau de champ électromagnétique qu’il peut rencontrer dans son environnement.
    Elle exclut de son champ d’application les équipements radioélectriques (« équipements hertziens et équipements terminaux de télécommunication »), et plus généralement tous les équipements couverts par des directives spécifiques, ce qui est le cas général pour les appareils assurant des fonctions de sécurité.

    Ainsi les normes de CEM applicables aux appareils standard (CEI-61000-4-3) fixent 3 V/m comme le niveau de champ électromagnétique que doivent pouvoir supporter ces appareils sans que leur fonctionnement ne soit perturbé de manière inacceptable. Pour les appareils assurant des fonctions de sécurité (équipements médicaux, équipements embarqués à bord d’avions, etc.) ou susceptibles de fonctionner dans des environnements spécifiques (environnements industriels, par exemple) et qui relèvent de directives ou normes spécifiques, ce niveau peut être notablement plus élevé.

    Il n’a donc jamais été dans l’intention des pouvoirs publics de garantir que le niveau de 3 V/m ne devait jamais être dépassé. Dans l’esprit de la directive, les équipements électriques et électroniques doivent être adaptés à leur environnement et non l’inverse. La directive 2004/108/CE a été transposée en droit français (cf. décret n°2006-1278).

    La recommandation 1999/519/CE établit des normes en matière de santé (se référer à la rubrique Réglementation). Elle détermine les valeurs limites de champ électromagnétique à ne pas dépasser dans les lieux où séjourne le public. Elle précise que les appareils médicaux doivent faire l’objet de précautions appropriées, traitées dans le cadre de la compatibilité électromagnétique et de la législation particulière relative aux dispositifs médicaux.

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